mardi 16 octobre 2007

« Je te rappelle dans deux minutes, coco ! »

Hier soir, nous avons travaillé tard avec Emmanuel, dans notre atelier marseillais. Nous étions affairés à monter un son destiné à être diffusé sur l’antenne de radio Nova - qui continue de suivre chaque semaine les aventures du narcotour, dans sa matinale (1). Nous avons tout de même eu Marc au téléphone. Il se trouvait en Vendée, où le camping-car est immobilisé quelques jours, le temps d’une pause (bien méritée) sur la route du tour. Marc a tout de même pu effectuer un rapide aller-retour en train jusqu’à Boulogne-sur-Mer, histoire de récupérer un peu de linge propre.

NS55 était déjà prêt à repartir au combat. Remonté comme une pendule suisse, aux plus beaux jours. Ce mardi matin, il avait rendez-vous avec un fabricant d’adhésifs. NS55 souhaite flanquer directement sur les flancs du Laika de grands 4x3. De la sorte, le véhicule sera immédiatement identifiable sur les routes. Immanquable pour tous ceux qui croiseront son chemin. De quoi réserver de drôles de rencontres, par conséquent, si nous croisons par exemple des représentants des forces de l’ordre – et pourquoi pas des douanes.
« Je vais faire installer un grand Trahison d’Etat », a notamment annoncé l’aviseur, à l’autre bout de la ligne, une sorte de trémolo d’excitation dans la voix. Du coup, NS en avait même oublié les graffeurs. Les graffeurs ? Oui, ceux qu’il avait chargé Emmanuel de dénicher pour décorer le Laika, deux jours plus tôt. Pour le coup, Emmanuel était assez déçu, je crois, car il imaginait déjà la caravane du tour transformée en œuvre d’art roulante.
Pour donner le change, Marc lui a dit de voir tout de même « combien ça coûtait ». Mais autant dire que l’affaire est morte. La chose ne fait pas un pli, à mes yeux.

NS55 est impatient de repartir sur les routes, à l’évidence. Nous aussi. Sauf que nous sommes aujourd’hui confrontés à la réalité de l’auto-production. Depuis notre retour à Marseille, nous avons fait nos comptes. Et la situation n’est pas terrible. C’est même pire que je ne l’imaginais, préférant ne pas regarder en face les choses, conscient d’une réalité qui pourrait contrarier nos projets. En gros, depuis le prologue du tour de France, en mai dernier, le tournage du documentaire nous a coûté plus de 4500 euros. Que nous avons sorti de nos poches. Nos finances sont désormais assez mal en point, les miennes en particulier étant exsangues. Personnellement, j’espérais qu’un producteur prenne le relais, afin de nous soulager et de nous donner de l’air. Emmanuel, lui, était plus réservé. Un scepticisme que j’avais mis sur le compte d’une nature plus en retenu que la mienne. Problème, le producteur sur lequel je comptais - le seul qui semblait prêt à y aller, et qui tenait « absolument » à travailler avec moi -, et avec lequel je discute depuis plusieurs semaines, a décidé de jouer les arlésiennes. Il devait me rappeler en fin de semaine dernière, au moment de la coupure de notre dernier tronçon sur le tour, au retour de l’étape de La Rochelle. Alors que j’avais fini par m’énerver devant ses tergiversations, Yannis se disait prêt à sortir rapidement quelques milliers d’euros, entre 20 et 30 000, pour poursuivre le tournage. J’attends toujours son appel – comme j’en ai attendu beaucoup jusqu’à présent. Hier, j’ai finalement pu l’avoir directement à l’autre bout du fil. Il était au Maroc, en pleins préparatifs pour une grosse opération avec TF1. Débordé, donc. Une fois de plus. Au point que la conversation, si j’ose ainsi appeler la chose, n’a pas duré plus d’une minute.
Yannis était en pleine bourre, au milieu d’un tas de gens bruyants : « je te rappelle dans deux minutes », a-t-il annoncé avant de raccrocher.
J’attends toujours son appel.

Il nous faut réagir ! Impérieusement. Reprendre à nouveau le bâton de pèlerin pour aller prêcher la bonne parole. Beaucoup de réalisateurs connaissent cette désespérante réalité du métier, mais nous pensions sérieusement que la force du projet en développement nous aurait évité ce genre de désagréments. Dans un premier temps, il faudra déjà expliquer à Marc que nous ne pourrons pas repartir dès la semaine prochaine, comme nous l’avions prévu. Les finances sont à plat, c’est dit.
Marc risque d’être déçu. Je pense même qu’il va faire la tête quelques jours, connaissant son tempérament, et vu l’entrain dont il témoignait hier au téléphone. Face à l’urgence, ce matin, j’ai repris mon téléphone pour tenter de trouver de l’argent frais. J’ai composé le numéro des Films du tambour de soie. Un producteur marseillais qui a la réputation d’avoir une vraie ouverture d’esprit. Raté, dans l’immédiat : le patron de la boîte est actuellement en déplacement. La jeune femme, charmante, avec qui j’ai parlé m’a conseillé d’envoyer un dossier. Comment lui dire que je n’ai pas une semaine à perdre ? Que nous sommes dans une urgence absolue... Qu’il nous faut de l’argent, là, très vite, tout de suite... Maintenant...
En raccrochant, j’avais pourtant le sourire aux lèvres, aussi curieux que ça paraisse vu le faible degré de performance de cette conversation. Non pas que j’avais la solution, non... En réalité, je me disais que nous avions décidément fière allure, tous les trois, plus fauchés les uns que les autres : un homme condamné pour narcotrafic, en conditionnelle jusqu’en 2013, qui demande des comptes aux douanes, flanqué de deux réalisateurs sans moyens, sans chaîne ni producteur.
Le tout dans un camping-car errant de villes en villes...
Un bel équipage à l’assaut des douanes, assurément !

J’ai ensuite composé le numéro de Michel Samson. Samson est correspondant du Monde à Marseille. Il connaît bien le documentaire. Avec son fidèle complice Jean-Michel Comolli, il a réalisé une série de films remarquables sur les élections à Marseille au cours des vingt dernières années - je vous conseille d’ailleurs vivement de vous procurer le coffret, baptisé Marseille contre Marseille, qui rassemble ces sept films. Le duo a dernièrement commis un film, diffusé sur Arte, qui est une plongée au coeur de l’immeuble du Monde au moment de la dernière élection présidentielle.
Dans les colonnes du quotidien, Samson avait signé cet été un article sur le film que j’avais réalisé pour Strip tease, sur France 3. Il avait aimé l’objet, d’où ce papier qui avait fait la fierté de mon père. J’ai donc pris mon courage à deux mains et décroché mon téléphone. Je sais que Samson est proche de Paul Saadoun, producteur de 13 Production, une de seules sociétés de production solides à Marseille. Nous avons discuté du projet. Samson m’a dit qu’il allait demander à Saadoun de l’étudier avec attention. Au cours de la conversation, comme nous parlions de la drogue, le journaliste m’a appris qu’il avait signé un reportage consacré à la route du cannabis - un sujet paru en mai 2006. Michel Samson était notamment parti enquêter dans le Rif, au Maroc, puis avait fait la route par l’Espagne.
J’ai noté la référence de l’article, que je n’avais pas lu, pour le récupérer. Il sera certainement très instructif pour nous, puisque le narcotour doit également nous amener sur les lieux de passage du trafic de drogue.
Voilà donc où en est l’état des troupes à ce jour. Pas de toute première fraîcheur, vous le constatez.
Il faut maintenant que nous précisions le programme, mais je pense que nous reprendrons vraisemblablement la route d’ici une dizaine de jours. Nous devrions repartir à l’Ouest, sauf bouleversement de dernière minute - toujours possible dans une épreuve comme le tour.
Nous devrions embarquer avec nous, pour deux ou trois jours, Nicolas Santolaria, journaliste à Technikart. J’espère qu’il ne s’attend pas à un service trois étoiles et à trouver du repos et du confort.
Il risquerait d’être... déçu !

Olivier-Jourdan Roulot

(1) Nous mettrons en ligne les reportages sonores sur le vif réalisés par nos soins et diffusés par Nova, dès que nos copains de la matinale nous les aurons envoyés. Allez, Mathilde, un effort !

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