mardi 13 novembre 2007

Pour 50 000 dollars de plus...

Vendredi matin, nous avions rendez-vous Emmanuel et moi avec un étrange personnage à Marseille. Nous souhaitions le rencontrer pour lui proposer d’intervenir dans le film, car son profil nous intéressait pour notre enquête sur les routes de la drogue. Le rendez-vous avait été fixé sur le Vieux-Port, là même où je l’avais rencontré une première fois, quelques mois plus tôt, pour les besoins d’un article pour la presse écrite – le contact avait été pris via un éditeur que nous avions en commun.
Comme convenu, ce vendredi matin, sur le coup des 10h30, j’ai appelé notre contact sur mon portable, depuis le bar de la Caravelle, au dessus du Vieux-Port, où nous prenions un café en patientant.
« Rendez-vous dans deux minutes à lachopédoro », avait répondu la voix au bout du fil, avec le même inimitable accent.
Lachopé quoi ?

Trois minutes plus tard, nous étions au soleil à la terrasse de la Chope d’or, un bar du Vieux-Port, au pied de la Caravelle. Notre rendez-vous est arrivé, portant toujours une paire de Ray Ban très années 70, dont il semble ne jamais se séparer. Sous sa casquette à la visière rouge, notre homme avait la gueule de l’emploi : celle d’un ancien agent des services secrets du régime cubain. Une fonction qu’il a longtemps occupé, se consacrant avec pas mal d’efficacité aux basses œuvres de la cause castriste. Avant d’être obligé de fuir Cuba, victime à son tour d’un de ces revirements dont le régime de Fidel est coutumier à l’égard de ses plus zélés serviteurs, qui deviennent du jour au lendemain à leur tour des pestiférés. L’homme avait su mettre à profit quelques solides appuis en France, qu’il s’était assuré en préparant des déplacements d’hommes politiques français à Cuba, pour parvenir à s’exfiltrer sans trop de casse et recommencer une nouvelle vie loin de la fièvre et des humeurs changeantes des hommes de la révolution.
Nous souhaitions rencontrer cet exilé car il est a priori un homme parfaitement renseigné. Au courant de nombreux dossiers explosifs, sur les compromissions entre les narco et le régime de Castro, et d’autres sordides histoires mêlant étonnamment drogue, politique et géopolitique.

« Drogue et politique, belle histoire », a commencé notre interlocuteur, caché derrière ses Ray Ban pendues à une paire d’oreilles king size. « L’histoire a commencé avec les Américains au Vietnam, avec les services américains... Les Far se financent avec la drogue. Cuba a plongé dans la drogue depuis longtemps. La Bolivie, c’est une longue histoire ».
En avalant notre pression, nous buvions du petit lait. Belle entrée en matière !

Sa casquette Van Dutch visée sur le crâne, notre Cubain souriait à pleines dents, laissant apparaître une dentition qui en faisait un candidat parfait pour figurer au casting d’un film de genre. « La drogue a été utilisée d’un côté et de l’autre, comme une arme et un levier de contrôle des pays et des populations. Ce sont les origines mêmes de la révolution cubaine : elle a tenu grâce à ça, avec les mulets dans la Sierra maestra, qui appartenaient à des trois généraux proches de Raùl, devenu commandant de la révolution ».
L’air de rien, notre ami était en train de balancer de drôles de petites bombes.
« C’est la guerre », reprit-il encore. L’homme souriait toujours.

La guerre, peut-être, sauf qu’elle a un prix. Tout d’un coup, la discussion est devenue moins fun. En effet, alors qu’on lui expliquait que nous souhaitions sa participation dans notre film, notre ami cubain n’a pas fait de manières. Commençant par une explication assez vaseuse, en guise de mise en bouche : « quand tu passes à la télé, tout le monde te reconnaît pendant deux mois. Je n’aime pas ça. Tu sais jamais si on te regarde pour te féliciter ou pour te mettre une gifle ». Ouais... Tout d’un coup, la conversation prenait une drôle de tournure. « Moi, je vais te dire, je suis très loin d’une satisfaction intellectuelle. Ca, je m’en bats les couilles ! Ca dépend ce que tu proposes, donc... » Visiblement moins agile qu’Emmanuel (qui me confiera avoir tout de suite compris, plus tard), je demandais à notre Cubain ce qu’il voulait dire exactement. « Moi, je ne mélange pas les serviettes et les torchons. Votre mec, il a autant d’importance que le morpion qui sort du cul d’un éléphant de Vincennes ! ». La chose devenait de plus en plus mal engagée...
Un peu plus loin, l’ancien homme des basses œuvres précisait enfin sa pensée : « au Maroc, en ce moment, la télévision marocaine me sollicite sur l’affaire Ben Barka. On me propose entre 40 000 et 50 000 dollars... Fontaine et Bataille, avec leur nouvelle émission, m’ont proposé 4000 euros. Je les ai envoyés chier ! »

Cette fois, nous y étions ! Voilà que notre homme était en train de nous mettre un main un sacré marché : son témoignage contre un (joli) chèque ! En clair, il était en train de tenter de nous racketter ! Pas besoin de vous préciser notre surprise. Visiblement, notre homme avait conservé l’âme et les habitudes d’une vraie crapule, qu’il n’avait sans doute jamais cessé d’être.

La chose est d’ailleurs assez amusante, au fond : alors que nous avons de plus en plus de difficultés à joindre les deux bouts, en engageant nos économies au risque de l’équilibre personnel et financier de nos foyers, c’était autre chose, maintenant : le témoin payant ! Pas vraiment notre genre, à dire vrai – et pas que pour des questions de possibilités financières.
Ou alors, peut-être devrions nous solliciter des trafiquants, au fond, pour qu’ils financent notre film et les exigences étonnantes de ce type de personnages... Après tout, il faut bien que nous trouvions de l’argent et c’est bien là qu’il se trouve !

Au final, avant que nous ne l’abandonnions, l’ancien ami de Fidel finira par me proposer une interview, « en dédommagement », pour un newsmagazine pour lequel je fais des correspondances depuis Marseille. Il faut dire que Marianne avait lâché une bombe à son sujet, quelques jours plus tôt, en sortant un papier de trois pages dans lequel le journaliste " révélait " que c’était notre interlocuteur qui avait pris la célèbre photo-icône du Che, connue dans le monde entier et la plupart du temps attribuée à Korda. Du coup, tous les médias et les concurrents de Marianne tentaient d'obtenir une interview que notre homme se faisait un plaisir de refuser.
Et là, grand seigneur, le voilà qui me proposait cette fleur pour me dédommager !
« Je peux te dire des choses inédites : Le KGB a éliminé le Che... Ils ont tout planifié ! »
Imprévisible, décidément, notre Cubain. De mon côté, j’avais surtout un film à réaliser. Nous avons donc fini par abandonner l'ancien compagnon du Che.

Finalement, au total, au moment du bilan chiffré, cette charmante matinée nous aura coûté une dizaine d’euros, entre les trois pressions avalées et le parking. Une facture de plus qui vient rejoindre la collection des frais engagés pour notre film, au remboursement très hypothétique - pas la plus rentable, celle là, même si on est loin des 50 000 dollars évoqués plus haut…
Il ne nous reste plus qu'à trouver quelques producteurs portant des valises de dollars ! Allo, l'Amérique ?

Olivier-Jourdan Roulot

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